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la théorie physique et l’expérience

bli, et de reste, cette vérité : La méthode inductive, dont on recommande l’usage au physicien, lui est aussi impraticable que l’est, au mathématicien, cette méthode déductive parfaite, qui consisterait à tout définir et à tout démontrer, cette méthode à la recherche de laquelle certains géomètres semblent s’acharner, bien que Pascal en ait fait, dès longtemps, bonne et rigoureuse justice. Il est donc bien clair que ceux qui prétendent dérouler, selon cette méthode, la suite des principes de la Physique en donneront forcément un exposé qui sera fautif en quelque point.

Parmi les tares qui marquent un tel exposé, la plus fréquente et, en même temps, la plus grave par les idées fausses qu’elle dépose dans l’intelligence des élèves, c’est l’expérience fictive. Obligé d’invoquer un principe qui, en réalité, n’a point été tiré des faits, qui n’a point été engendré par l’induction ; répugnant, d’ailleurs, à donner ce principe pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour un postulat, le physicien imagine une expérience qui, si elle était exécutée et si elle réussissait, pourrait conduire au principe que l’on souhaite de justifier.

Invoquer une telle expérience fictive, c’est donner une expérience à faire pour une expérience faite ; c’est justifier un principe non pas au moyen de faits observés, mais défaits dont on prédit la réalisation ; et cette prédiction n’a d’autre fondement que la croyance au principe à l’appui duquel on l’invoque ; un tel procédé de démonstration entraîne celui qui s’y fie dans un cercle vicieux ; et celui qui l’enseigne sans préciser que l’expérience citée n’a pas été faite commet un acte de mauvaise foi.