Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
la structure de la théorie physique

vaises observations parce qu’ils ne prennent dans les résultats de leurs expériences que ce qui convient à leur but en négligeant ce qui ne s’y rapporte pas, et en écartant bien soigneusement tout ce qui pourrait aller dans le sens de l’idée qu’ils veulent combattre. On est donc conduit ainsi par deux voies opposées au même résultat, c’est-à-dire à fausser la science et les faits. »

« La conclusion de tout ceci est qu’il faut effacer son opinion aussi bien que celle des autres devant les décisions de l’expérience ;… qu’il faut accepter les résultats de l’expérience tels qu’ils se présentent, avec tout leur imprévu et leurs accidents. »

Voici, par exemple, un physiologiste ; il admet que les racines antérieures de la moelle épinière renferment les cordons nerveux moteurs et les racines postérieures, les cordons sensitifs ; la théorie qu’il accepte le conduit à imaginer une expérience ; s’il coupe telle racine antérieure, il doit supprimer la motilité de telle partie du corps sans en abolir la sensibilité ; lorsqu’après avoir sectionné cette racine, il observe les conséquences de son opération, lorsqu’il en rend compte, il doit faire abstraction de toutes ses idées touchant la physiologie de la moelle ; sa relation doit être une description brute des faits ; il ne lui est pas permis de passer sous silence un mouvement, un tressaillement contraire à ses prévisions ; il ne lui est pas permis de l’attribuer à quelque cause secondaire, à moins qu’une expérience spéciale n’ait mis cette cause en évidence ; il doit, s’il ne veut être accusé de mauvaise foi scientifique, établir une séparation absolue, une cloison étanche, entre les conséquences de ses déductions théoriques et la constatation des faits que lui révèlent ses expériences.