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où cet auteur admettait, bien avant Newton, une gravitation universelle ; le 20 avril 1646, Descartes exprimait son avis en ces termes[1] :

« Rien n’est plus absurde que la supposition ajoutée à ce qui précède ; l’auteur suppose qu’une certaine propriété est inhérente à chacune des parties de la matière du monde et que, par la force de cette propriété, elles sont portées l’une vers l’autre et s’attirent mutuellement ; il suppose aussi qu’une propriété semblable est inhérente à chacune des parties terrestres, considérée dans ses rapports avec les autres parties terrestres, et que cette propriété ne gêne nullement la précédente. Pour comprendre cela, il faut non seulement supposer que chacune des particules matérielles est animée, et même qu’elle est animée d’un grand nombre d’âmes diverses qui ne se gênent pas l’une l’autre, mais encore que ces âmes des particules matérielles sont douées de connaissance, et qu’elles sont vraiment divines, afin qu’elles puissent connaître sans aucun intermédiaire ce qui se passe en des lieux fort éloignés d’elles et y exercer leurs actions. »

Les cartésiens s’accordent donc avec les atomistes lorsqu’il s’agit de condamner comme qualité occulte l’action à distance que les newtoniens invoquent dans leurs théories ; mais, se retournant ensuite contre les atomistes, les cartésiens traitent avec la même sévérité la dureté et l’indivisibilité que ceux-ci attribuent à leurs corpuscules. « Une autre chose qui me fait de la peine, écrit[2] à l’atomiste Huygens le cartésien

  1. Descartes : Correspondance, édition P. Tannery et Ch. Adam, No CLXXX, t. IV, p. 396.
  2. Denis Papin à Christian Huygens, 18 juin 1690 (Œuvres complètes de Huygens, t. IX, p. 429.)