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la loi physique

par des équations telles que si l’une d’elles est vérifiée, aucune autre ne l’est ; elles traceront sur la sphère céleste des courbes distinctes, et il serait absurde de dire qu’un même point décrit en même temps deux de ces courbes ; cependant, pour le physicien, toutes ces lois sont également acceptables, car, toutes, elles déterminent la position du soleil avec une approximation supérieure à celle que comporte l’observation ; le physicien n’a le droit de dire d’aucune de ces lois qu’elle est vraie à l’exclusion des autres.

Sans doute, entre ces lois, le physicien a le droit de choisir et, en général, il choisira ; mais les motifs qui guideront son choix ne seront pas de même nature, ne s’imposeront pas avec la même nécessité impérieuse que ceux qui obligent à préférer la vérité à l’erreur.

Il choisira une certaine formule parce qu’elle est plus simple que les autres ; la faiblesse de notre esprit nous contraint d’attacher une grande importance aux considérations de cet ordre. Il fut un temps où les physiciens supposaient l’intelligence du Créateur atteinte de la même débilité ; où la simplicité des lois de la nature s’imposait comme un dogme incontestable, au nom duquel on rejetait toute loi qu’exprimait une équation algébrique trop compliquée ; où la simplicité, au contraire, semblait conférer à une loi une certitude et une portée transcendantes à la méthode expérimentale qui l’avait fournie. C’est alors que Laplace, parlant de la loi de la double réfraction découverte par Huygens, disait[1] : « Jusqu’ici cette

  1. Laplace : Exposition du système du monde l. IV, c. xviii ; « De l’attraction moléculaire. »