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la structure de la théorie physique

Les termes abstraits sur lesquels porte une loi de sens commun n’étant autre chose que ce qu’il y a de général dans les objets concrets soumis à nos sens, le passage du concret à l’abstrait se fait par une opération si nécessaire et si spontanée qu’elle demeure inconsciente ; placé en présence d’un certain homme, d’un certain cas de mort, je les rattache immédiatement à l’idée générale d’homme, à l’idée générale de mort. Cette opération instinctive, irréfléchie, fournit des idées générales non analysées, des abstractions prises, pour ainsi dire, en bloc. Sans doute, ces idées générales et abstraites, le penseur peut les analyser, il peut se demander ce qu’est l’homme, ce qu’est la mort, chercher à pénétrer le sens profond et complet de ces mots ; ce travail l’amènera à mieux saisir la raison d’être de la loi ; mais ce travail n’est pas nécessaire pour comprendre la loi ; il suffit, pour la comprendre, de prendre dans leur sens obvie les termes qu’elle relie ; aussi cette loi est-elle claire pour tous, philosophes ou non.

Les termes symboliques que relie une loi de Physique ne sont plus de ces abstractions qui jaillissent spontanément de la réalité concrète ; ce sont des abstractions produites par un travail lent, compliqué, conscient, par le travail séculaire qui a élaboré les théories physiques ; impossible de comprendre la loi, impossible de l’appliquer si l’on n’a pas fait ce travail, si l’on ne connaît pas les théories physiques.

Selon que l’on adopte une théorie ou une autre, les mots mêmes qui figurent dans l’énoncé d’une loi de Physique changent de sens, en sorte que la loi peut être acceptée par un physicien qui admet telle théorie