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la structure de la théorie physique

plus qu’on n’en a énuméré ; car la complexité de la réalité concrète nous passe. Ces erreurs systématiques aux causes insoupçonnées, on les confond toutes ensemble sous le nom d’erreurs accidentelles ; l’ignorance des circonstances qui les déterminent ne permet pas de les corriger ; les géomètres ont profité de la latitude que leur laissait cette ignorance pour faire, au sujet de ces erreurs, des hypothèses qui leur permissent d’en atténuer l’effet par certaines opérations mathématiques ; mais tant valent ces hypothèses, tant vaut la théorie des erreurs accidentelles ; et comment saurait-on ce que valent ces hypothèses, puisqu’on ne sait rien des erreurs sur lesquelles elles portent, si ce n’est qu’on en ignore les sources ?

L’appréciation du degré d’approximation d’une expérience est donc une œuvre d’une extrême complexité. Souvent il est difficile d’y tenir un ordre entièrement logique ; le raisonnement doit alors faire place à cette qualité rare et subtile, à cette sorte d’instinct ou de flair qui se nomme le sens expérimental — apanage de l’esprit de finesse plutôt que de l’esprit géométrique.

La simple description des règles qui président à l’examen d’une expérience de Physique, à son adoption ou à son rejet, suffit à mettre en évidence cette vérité essentielle : Le résultat d’une expérience de Physique n’a pas une certitude de même ordre qu’un fait constaté par des méthodes non scientifiques, par la simple vue ou le simple toucher d’un homme sain de corps et d’esprit ; moins immédiate, soumise à des discussions auxquelles échappe le témoignage vulgaire, cette certitude demeure toujours subor-