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la structure de la théorie physique

énoncée par un physicien comme résultat d’une expérience n’est pas de la même nature ; si le physicien se bornait à nous conter les faits qu’il a vus, ce qui s’appelle vu, de ses yeux vu, son témoignage devrait être examiné suivant les règles générales, propres à fixer le degré de créance que mérite le témoignage d’un homme ; si le physicien était reconnu digne de foi — et ce serait, je pense, le cas général — son témoignage devrait être reçu comme l’expression de la vérité.

Mais, encore une fois, ce que le physicien énonce comme le résultat d’une expérience, ce n’est pas le récit des faits constatés ; c’est l’interprétation de ces faits, c’est leur transposition dans le monde idéal, abstrait, symbolique, créé par les théories qu’il regarde comme établies.

Donc, après avoir soumis le témoignage du physicien aux règles qui fixent le degré de confiance mérité par le récit d’un témoin, nous n’aurons accompli qu’une partie, et la partie la plus aisée, de la critique qui doit déterminer la valeur de son expérience.

Il nous faut, en premier lieu, nous enquérir avec grand soin des théories que le physicien regarde comme établies et qui lui ont servi à interpréter les faits qu’il a constatés ; faute de connaître ces théories, il nous serait impossible de saisir le sens qu’il attribue à ses propres énoncés ; ce physicien serait devant nous comme un témoin devant un juge qui n’entendrait pas sa langue.

Si les théories admises par ce physicien sont celles que nous acceptons, si nous sommes convenus de suivre les mêmes règles dans l’interprétation des mêmes phé-