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la structure de la théorie physique

§ III. — L’interprétation théorique des phénomènes rend seule possible l’usage des instruments. .

L’importance de cette opération intellectuelle, par laquelle les phénomènes réellement observés par le physicien sont interprétés selon les théories admises, ne se marque pas seulement en la forme prise par le résultat de l’expérience ; elle se manifeste également par les moyens qu’emploie l’expérimentateur.

Il serait, en effet, impossible d’user des instruments que l’on trouve dans les laboratoires de Physique, si l’on ne substituait aux objets concrets qui composent ces instruments une représentation abstraite et schématique qui donne prise au raisonnement mathématique ; si l’on ne soumettait cette combinaison d’abstractions à des déductions et à des calculs qui impliquent adhésion aux théories.

Au premier abord, cette affirmation étonnera peut-être le lecteur.

Une foule de gens emploient la loupe, qui est un instrument de Physique ; cependant, pour en faire usage, ils n’ont nul besoin de remplacer ce morceau de verre bombé, poli, brillant, pesant, enchâssé dans le cuivre ou dans la corne, par l’ensemble de deux surfaces sphériques limitant un milieu doué d’un certain indice de réfraction, bien que cet ensemble seul soit accessible aux raisonnements de la Dioptrique ; ils n’ont aucun besoin d’avoir étudié la Dioptrique, de connaître la théorie de la loupe. Il leur a suffi de regarder un même objet d’abord à l’œil nu, puis avec la loupe, pour constater que cet objet gardait le même