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la structure de la théorie physique

Voilà, dira-t-on, l’observation minutieuse et précise de certains phénomènes, de certains faits. Assurément, entre les mains et sous les yeux de Regnault, entre les mains et sous les yeux de ses aides, des faits concrets se sont produits ; est-ce le récit de ces faits que Regnault a consignés pour contribuer à l’avancement de la Physique ? Non. Dans un viseur Regnault a vu l’image d’une certaine surface de mercure affleurer à un certain trait ; est-ce là ce qu’il a inscrit dans la relation de ses expériences ? Non ; il a inscrit que le gaz occupait un volume ayant telle valeur. Un aide a élevé et abaissé la lunette d’un cathétomètre jusqu’à ce que l’image d’un autre niveau de mercure vînt affleurer au fil d’un réticule ; il a alors observé la disposition de certains traits sur la règle et sur le vernier du cathétomètre ; est-ce là ce que nous trouvons dans le Mémoire de Regnault ? Non ; nous y lisons que la pression supportée par le gaz avait telle valeur. Un autre aide a vu, dans le thermomètre, le liquide osciller entre deux certains traits ; est-ce là ce qui a été consigné ? Non ; on a marqué que la température du gaz avait varié entre tel et tel degré.

Or, qu’est-ce que la valeur du volume occupé par le gaz, qu’est-ce que la valeur de la pression qu’il supporte, qu’est-ce que le degré de la température à laquelle il est porté ? Sont-ce trois objets concrets ? Non ; ce sont trois symboles abstraits que, seule, la théorie physique relie aux faits réellement observés.

Pour former la première de ces abstractions, la valeur du volume occupé par le gaz, et la faire correspondre au fait observé, c’est à-dire à l’affleurement du mercure en un certain trait, il a fallu jauger