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la structure de la théorie physique

théoricien. Prenons, par exemple, ce fait : La température est distribuée de telle manière sur tel corps.

En un tel fait théorique, il n’y a rien de vague, rien d’indécis ; tout est déterminé d’une manière précise ; le corps étudié est défini géométriquement ; ses arêtes sont de véritables lignes sans épaisseur, ses pointes de véritables points sans dimensions ; les diverses longueurs, les divers angles qui déterminent sa figure sont exactement connus ; à chaque point de ce corps correspond une température, et cette température est, pour chaque point, un nombre qui ne se confond avec aucun autre nombre.

En face de ce fait théorique, plaçons le fait pratique dont il est la traduction. Ici, plus rien de la précision que nous constations il y a un instant. Le corps n’est plus un solide géométrique ; c’est un bloc concret ; si aiguës que soient ses arêtes, chacune d’elles n’est plus l’intersection géométrique de deux surfaces, mais une échine plus ou moins arrondie, plus ou moins dentelée ; ses pointes sont plus ou moins écachées et émoussées ; le thermomètre ne nous donne plus la température en chaque point, mais une sorte de température moyenne relative à un certain volume dont l’étendue même ne peut pas être très exactement fixée ; nous ne saurions, d’ailleurs, affirmer que cette température est tel nombre, à l’exclusion de tout autre nombre ; nous ne saurions déclarer, par exemple, que cette température est rigoureusement égale à 10° ; nous pouvons seulement affirmer que la différence entre cette température et 10° ne surpasse pas une certaine fraction de degré dépendant de la précision de nos méthodes thermométriques.