Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
les qualités premières

Faut-il en conclure que le nombre des qualités admises dans nos théories deviendra moindre de jour en jour, que la matière dont traitent nos spéculations sera de moins en moins riche en attributs essentiels, qu’elle tendra vers une simplicité comparable à celle de la matière atomistique et de la matière cartésienne ? Ce serait, je pense, une conclusion téméraire. Sans doute, le développement même de la théorie peut, de temps en temps, produire la fusion de deux qualités distinctes, semblable à cette fusion de l’éclairement et de la polarisation diélectrique qu’a déterminée la théorie électromagnétique de la lumière. Mais, d’autre part, le progrès incessant de la Physique expérimentale amène fréquemment la découverte de nouvelles catégories de phénomènes, et, pour classer ces phénomènes, pour en grouper les lois, il est nécessaire de douer la matière de propriétés nouvelles.

De ces deux mouvements contraires dont l’un, réduisant les qualités les unes aux autres, tend à simplifier la matière, dont l’autre, découvrant de nouvelles propriétés, tend à la compliquer, quel est celui qui l’emportera ? Il serait imprudent de formuler à ce sujet une prophétie à longue échéance. Du moins, semble-t-il assuré qu’à notre époque, le second courant, beaucoup plus puissant que le premier, entraîne nos théories vers une conception de la matière de plus en plus complexe, de plus en plus riche en attributs.

D’ailleurs, l’analogie entre les qualités premières de la Physique et les corps simples de la Chimie se marque encore ici. Peut-être un jour viendra-t-il où de puissants moyens d’analyse résoudront les nombreux corps qu’aujourd’hui nous nommons simples en un