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les qualités premières

comparait la méthode suivie en Physique par les philosophes qui, à tout propos, introduisaient de nouvelles formes et de nouvelles qualités à celle « qui se contenterait de dire qu’une horloge a la qualité horodictique, provenante de sa forme, sans considérer en quoi tout cela consiste ».

Paresse d’esprit, qui trouve commode de se payer de mots ; improbité intellectuelle qui trouve avantage à en payer les autres, sont vices bien répandus dans l’humanité. Assurément, les physiciens scolastiques, si prompts à douer la forme de chaque corps de toutes les vertus que réclamaient leurs systèmes vagues et superficiels, en étaient souvent et profondément atteints ; mais la philosophie qui admet les propriétés qualitatives n’a pas le triste monopole de ces défauts ; on les retrouve aussi bien chez les sectateurs d’Écoles qui se piquent de tout réduire à la quantité.

Gassendi, par exemple, est atomiste convaincu ; pour lui, toute qualité sensible n’est qu’apparence ; il n’y a en réalité que les atomes, leurs figures, leurs groupements, leurs mouvements. Mais si nous lui demandons d’expliquer selon ces principes les qualités physiques essentielles, si nous lui posons ces questions : Qu’est-ce que la saveur ? Qu’est-ce que l’odeur ? Qu’est-ce que le son ? Qu’est-ce que la lumière ? que va-t-il nous répondre ?

« Dans la chose même[1] que nous nommons sapide, la saveur ne paraît pas consister en autre chose qu’en corpuscules d’une configuration telle qu’en pénétrant la langue ou le palais, ils s’appliquent à la contexture de cet organe et le mettent en mouvement, de

  1. P. Gassendi : Syntagma philosophicum, 1. V, ce. ix, x et xi.