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la structure de la théorie physique

l’Algèbre, son prolongement, est pure de toute notion empruntée à la catégorie de la qualité ; seule, elle est conforme à l’idéal que Descartes propose à la science entière de la nature.

Dès la Géométrie, l’esprit se heurte à l’élément qualitatif, car cette science demeure « si astreinte à la considération des figures qu’elle ne peut exercer l’entendement sans fatiguer beaucoup l’imagination ». — « Le scrupule que faisaient les anciens d’user des termes de l’Arithmétique en la Géométrie, qui ne pouvait procéder que de ce qu’ils ne voyaient pas assez clairement leur rapport, causait beaucoup d’obscurité et d’embarras dans la façon dont ils s’expliquaient. » Cette obscurité, cet embarras, disparaîtront si l’on chasse de la Géométrie la notion qualitative de forme, de figure, pour n’y conserver que la notion quantitative de distance, que les équations qui relient les unes aux autres les distances mutuelles des divers points que l’on étudie. Bien que leurs objets soient de natures différentes, les diverses branches des Mathématiques ne considèrent en ces objets « autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent », en sorte qu’il suffit de traiter ces proportions en général par les voies de l’Algèbre, sans se soucier des objets où elles se rencontrent, des figures où elles sont réalisées ; par là, « tout ce qui tombe sous la considération des géomètres se réduit à un même genre de problèmes, qui est de chercher la valeur des racines de quelque équation » ; les Mathématiques entières sont ramenées à la Science des nombres ; on n’y traite que des quantités ; les qualités n’y ont plus aucune place.