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l’objet de la théorie physique

propose, pour un même ensemble de lois, diverses classifications issues de méthodes différentes ? La logique interdit-elle aux naturalistes de classer un groupe d’animaux d’après la structure du système nerveux et un autre groupe d’après la structure du système circulatoire ? Un malacologiste tombera-t-il dans l’absurdité s’il expose successivement le système de M. Bouvier qui groupe les mollusques d’après la disposition de leurs filets nerveux et celui de M. Remy Perrier qui fonde ses comparaisons sur l’étude de l’organe de Bojanus ? Ainsi un physicien aura logiquement le droit de regarder, ici, la matière comme continue et, là, de la considérer comme formée d’atomes séparés ; d’expliquer les effets capillaires par des forces attractives s’exerçant entre des particules immobiles, et de douer ces mêmes particules de mouvements rapides pour rendre compte des effets de la chaleur ; aucun de ces disparates ne violera les principes de la logique.

La logique n’impose évidemment au physicien qu’une seule obligation : c’est de ne pas confondre l’un avec l’autre les divers procédés de classification qu’il emploie ; c’est, lorsqu’il établit entre deux lois un certain rapprochement, de marquer d’une manière précise quelle est celle des méthodes proposées qui justifie ce rapprochement. C’est ce qu’exprimait M. Poincaré en écrivant[1] ces mots que nous avons déjà cités : « Deux théories contradictoires peuvent, en effet, pourvu qu’on ne les mêle pas, et qu’on n’y cherche pas le fond des choses, être toutes deux d’utiles instruments de recherche. »

  1. H. Poincaré : Électricité et Optique. I. Les théories de Maxwell et la théorie électro-magnétique de la lumière. Introduction, p. ix.