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l’objet de la théorie physique

logique qui pesait sur les anciennes théories, la substitution de modèles, indépendants les uns des autres, aux déductions rigoureusement enchaînées autrefois en usage, assure aux recherches du physicien une souplesse et une liberté qui sont éminemment fécondes en découvertes.

Cette opinion nous paraît contenir une très grande part d’illusion.

Trop souvent, ceux qui la soutiennent attribuent à l’emploi de modèles des découvertes qui ont été faites par de tout autres procédés.

Dans un grand nombre de cas, d’une théorie déjà formée, un modèle a été construit, soit par l’auteur même de la théorie, soit par quelque autre physicien ; puis, peu à peu, le modèle a relégué dans l’oubli la théorie abstraite qui l’avait précédé et sans laquelle il n’eût point été imaginé ; il se donne pour l’instrument de la découverte alors qu’il n’a été qu’un procédé d’exposition ; le lecteur non prévenu, celui à qui manque le loisir de faire des recherches historiques et de remonter aux origines, peut être dupe de cette supercherie.

Prenons, par exemple, le Rapport où M. Émile Picard[1] trace, en touches si larges et si sobres, le tableau de l’état des sciences en 1900 ; lisons les passages consacrés à deux théories importantes de la Physique actuelle : la théorie de la continuité de l’état liquide et de l’état gazeux et la théorie de la pression osmotique. Il nous semblera que la part des modèles mécaniques, des hypothèses Imaginatives touchant les molé-

  1. Exposition universelle de 1900 à Paris. Rapport du Jury international. Introduction générale. IIe partie : Sciences, par M. Émile Picard, Paris, 1901, pp. 53 et suiv.