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théories abstraites et modèles mécaniques

bles pour ne point redouter les longues déductions ; on a vu se multiplier les écrits où les équations de Maxwell étaient acceptées sans discussion, semblables à un dogme révélé, dont on révère les obscurités comme des mystères sacrés.

Plus formellement encore que Hertz, M. Poincaré a proclamé le droit, pour la Physique mathématique, de secouer le joug d’une trop rigoureuse logique et de briser le lien qui rattachait les unes aux autres ses diverses théories. « On ne doit pas se flatter, a-t-il écrit[1], d’éviter toute contradiction ; mais il faut en prendre son parti. Deux théories contradictoires peuvent, en effet, pourvu qu’on ne les mêle pas, et qu’on n’y cherche pas le fond des choses, être toutes deux d’utiles instruments de recherche, et, peut-être, la lecture de Maxwell serait-elle moins suggestive s’il ne nous avait pas ouvert tant de voies nouvelles divergentes. »

Ces paroles, qui donnaient libre pratique en France aux méthodes de la Physique anglaise, aux idées professées avec tant d’éclat par lord Kelvin, ne demeurèrent pas sans écho. Bien des causes leur assuraient une résonnance forte et prolongée.

Je ne veux parler ici ni de la haute autorité de celui qui proférait ces paroles, ni de l’importance des découvertes au sujet desquelles elles étaient émises ; les causes que je veux signaler sont moins légitimes, bien que non moins puissantes.

Parmi ces causes, il faut citer, en premier lieu, le goût de ce qui est exotique, le désir d’imiter l’étranger, le besoin d’habiller son esprit comme son corps à la

  1. H. Poincaré : Électricité et Optique. I. Les théories de Maxwell et la théorie électro-magnétique de la lumière. Introduction, p. ix.