Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
l’objet de la théorie physique

ment objets de science. Une théorie physique ne sera vraiment constituée que lorsqu’elle aura ramené l’étude d’un groupe de lois à la description de telles figures, de tels mouvements locaux. « Jusqu’ici la science[1], considérée dans sa partie édifiée ou susceptible de l’être, a grandi en allant d’Aristote à Descartes et à Newton, des idées de qualités ou de changements d’état, qui ne se dessinent pas, à l’idée de formes ou de mouvements locaux qui se dessinent ou se voient. »

Pas plus que Gassendi, M. Boussinesq ne veut que la Physique théorique soit une œuvre de raison dont l’imagination serait bannie ; il exprime sa pensée à cet égard en formules dont la netteté rappelle certaines paroles de lord Kelvin.

Que l’on ne s’y méprenne pas, cependant ; M. Boussinesq ne suivrait point jusqu’au bout le grand physicien anglais ; s’il veut que l’imagination puisse saisir en toutes leurs parties les constructions de la Physique théorique, il n’entend point, pour tracer le plan de ces constructions, se passer du concours de la logique ; il ne consent nullement, et Gassendi n’y aurait pas consenti davantage, à ce qu’elles soient dénuées de tout ordre et de toute unité, à ce qu’elles ne composent plus qu’un labyrinthe de bâtisses indépendantes et incohérentes.

À aucun moment, les physiciens français ou allemands n’ont, d’eux-mêmes, réduit la théorie physique à n’être qu’une collection de modèles ; cette opinion n’est point née spontanément au sein de la science continentale ; elle est d’importation anglaise.

  1. J. Boussinesq : Théorie analytique de la Chaleur, t. I, p. xv, 1901.