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théories abstraites et modèles mécaniques

notre époque, un des plus ingénieux et des plus féconds, M. J. Boussinesq, a exprimé avec une netteté parfaite ce besoin qu’éprouvent certains esprits de se figurer les objets sur lesquels ils raisonnent : « L’esprit humain, dit M. Boussinesq[1], en observant les phénomènes naturels, y reconnaît, à côté de beaucoup d’éléments confus qu’il ne parvient pas à débrouiller, un élément clair, susceptible par sa précision d’être l’objet de connaissances vraiment scientifiques. C’est l’élément géométrique, tenant à la localisation des objets dans l’espace, et qui permet de se les représenter, de les dessiner ou de les construire d’une manière plus ou moins idéale. Il est constitué par les dimensions et les formes des corps ou des systèmes de corps, par ce qu’on appelle, en un mot, leur configuration à un moment donné. Ces formes, ces configurations, dont les parties mesurables sont des distances ou des angles, tantôt se conservent, du moins à peu près, pendant un certain temps et paraissent même se maintenir dans les mêmes régions de l’espace pour constituer ce qu’on appelle le repos, tantôt changent sans cesse, mais avec continuité, et leurs changements de lieu sont ce qu’on appelle le mouvement local, ou simplement le mouvement. »

Ces configurations diverses des corps, leurs changements d’un instant à l’autre sont les seuls éléments que le géomètre puisse dessiner ; ce sont aussi les seuls que l’imaginatif puisse se représenter clairement ; ce sont donc, selon lui, les seuls qui soient propre-

  1. J. Boussinesq : Leçons synthétiques de Mécanique générale, p. 1 ; Paris, 1889.