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l’objet de la théorie physique

concrets et par la faiblesse de la faculté qui abstrait et généralise. Cette forme particulière d’esprit engendre une forme particulière de théorie physique ; les lois d’un même groupe ne sont point coordonnées en un système logique ; elles sont figurées par un modèle ; ce modèle peut être, d’ailleurs, soit un mécanisme construit avec des corps concrets, soit un agencement de signes algébriques ; en tous cas, la théorie anglaise ne se soumet point, en son développement, aux règles d’ordre et d’unité qu’impose la logique.

Pendant longtemps, ces particularités ont été comme la marque de fabrique des théories physiques construites en Angleterre ; de ces théories, on ne faisait guère usage sur le continent. Il en est autrement depuis quelques années ; la manière anglaise de traiter la Physique s’est répandue partout avec une extrême rapidité ; aujourd’hui, elle est usuelle en France comme en Allemagne ; nous allons rechercher les causes de cette diffusion.

En premier lieu, il convient de rappeler que si la forme d’intelligence nommée par Pascal amplitude et faiblesse d’esprit est très répandue parmi les Anglais, elle n’est cependant ni l’apanage de tous les Anglais, ni la propriété des seuls Anglais.

Pour l’aptitude à donner une parfaite clarté à des idées très abstraites, une extrême précision à des principes très généraux, pour l’art de conduire dans un ordre irréprochable soit une suite d’expériences, soit un enchaînement de déductions. Newton ne le cède assurément ni à Descartes, ni à aucun des grands penseurs classiques ; sa force d’esprit est une des plus puissantes que l’humanité ait connues.