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l’objet de la théorie physique

De cette méthode sont issus ces majestueux systèmes de la Nature qui prétendent imposer à la Physique la forme parfaite de la géométrie d’Euclide ; qui, prenant pour fondements un certain nombre de postulats très clairs, s’efforcent d’élever une construction parfaitement rigide et régulière où chaque loi expérimentale se trouve exactement logée ; depuis l’époque où Descartes bâtissait ses Principes de Philosophie jusqu’au jour où Laplace et Poisson édifiaient sur l’hypothèse de l’attraction l’ample édifice de leur Mécanique physique, tel a été le perpétuel idéal des esprits abstraits et, particulièrement, du génie français ; en poursuivant cet idéal, il a élevé des monuments dont les lignes simples et les proportions grandioses ravissent encore l’admiration, aujourd’hui que ces édifices branlent sur leurs fondements sapés de toutes parts.

Cette unité de la théorie, cet enchaînement logique entre toutes les parties qui la constituent, sont des conséquences tellement naturelles, tellement forcées de l’idée que la force d’esprit conçoit d’une théorie physique que, pour elle, troubler cette unité ou rompre cet enchaînement, c’est violer les principes de la logique, c’est commettre une absurdité.

Il n’en est nullement ainsi pour l’esprit ample, mais faible, du physicien anglais.

La théorie n’est pour lui ni une explication, ni une classification rationnelle des lois physiques, mais un modèle de ces lois ; elle est construite non pour la satisfaction de la raison, mais pour le plaisir de l’imagination ; dès lors, elle échappe à la domination de la logique ; il est loisible au physicien anglais de construire un modèle pour représenter un groupe