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théories abstraites et modèles mécaniques

philosophique ni même à le mettre d’accord avec un tel système. Il n’a qu’un objet : créer une image visible et palpable des lois abstraites que son esprit ne pourrait saisir sans le secours de ce modèle. Pourvu que le mécanisme soit bien concret, bien clair aux yeux de l’imagination, il lui importe peu que la cosmologie atomiste s’en déclare satisfaite ou que les principes du Cartésianisme le condamnent.

Le physicien anglais ne demande donc à aucune métaphysique de lui fournir les éléments avec lesquels il composera ses mécanismes ; il ne cherche pas à savoir quelles sont les propriétés irréductibles des éléments ultimes de la matière. W. Thomson, par exemple, ne se pose jamais des questions philosophiques telles que celles-ci : La matière est-elle continue ou formée d’éléments individuels ? Le volume d’un des éléments ultimes de la matière est-il variable où invariable ? De quelle nature sont les actions qu’exerce un atome, sont-elles efficaces à distance ou seulement au contact ? Ces questions ne se présentent même pas à son esprit ; ou plutôt, lorsqu’elles se présentent à lui, il les repousse comme oiseuses et nuisibles au progrès de la science :

« L’idée de l’atome, dit-il[1], s’est trouvée constamment associée à des suppositions inadmissibles comme la dureté infinie, la rigidité absolue, les mystiques actions à distance, l’indivisibilité ; aussi, à notre époque, les chimistes et bon nombre d’autres hommes raisonnables et curieux de la nature, perdant patience avec cet atome, l’ont relégué dans le royaume de la

  1. W. Thomson : The Size of Atoms, Nature, mars 1810. — Réimprimé dans Thomson and Tait : Treatise on Natural Philosophy, IIe part., app. F.