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l’objet de la théorie physique

thème cosmologique. Descartes, par exemple, et Malebranche après lui, une fois admis le principe que l’étendue est l’essence de la matière, ont bien soin d’en déduire que la matière a partout la même nature ; qu’il ne peut y avoir plusieurs substances matérielles différentes ; que, seules, les formes et les mouvements peuvent distinguer l’une de l’autre les différentes parties de la matière ; qu’une même quantité de matière occupe toujours un même volume, en sorte que la matière est incompressible ; et ils cherchent à construire logiquement un système qui explique les phénomènes naturels en ne faisant intervenir que ces deux éléments : la figure des parties mues et le mouvement dont elles sont animées.

Non seulement la construction du mécanisme qui servira à expliquer les lois de la Physique est soumise à certaines exigences logiques et tenue de respecter certains principes, mais encore les corps qui servent à composer ces mécanismes ne sont nullement semblables aux corps visibles et concrets que nous observons et que nous manions chaque jour ; ils sont formés d’une matière abstraite, idéale, définie par les principes de la Cosmologie dont se réclame le physicien ; matière qui ne tombe point sous les sens, qui est visible et saisissable à la seule raison ; matière cartésienne, qui n’est qu’étendue et mouvement, ou matière atomistique, qui ne possède aucune propriété, si ce n’est la figure et la dureté.

Lorsqu’un physicien anglais cherche à construire un modèle propre à représenter un ensemble de lois physiques, il ne s’embarrasse d’aucun principe cosmologique, il ne s’astreint à aucune exigence logique. Il ne cherche pas à déduire son modèle d’un système