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THÉORIES ABSTRAITES ET MODÈLES MÉCANIQUES

ples pour les représenter par des nombres, pour les mesurer ; alors, au lieu d’enchaîner dans une suite de syllogismes les propriétés de ces notions elles-mêmes, ils soumettent les nombres fournis par les mesures à des manipulations opérées suivant des règles fixes, les règles de l’algèbre ; au lieu de déduire, ils calculent. Or, cette manœuvre des symboles algébriques que l’on peut, dans la plus large acception du mot, nommer le calcul, suppose, chez celui qui la crée comme chez celui qui l’emploie, bien moins la puissance d’abstraire et l’habileté à conduire par ordre ses pensées, que l’aptitude à se représenter les combinaisons diverses et compliquées que l’on peut former avec certains signes visibles et dessinables, à voir d’emblée les transformations qui permettent de passer d’une combinaison à l’autre ; l’auteur de certaines découvertes algébriques, un Jacobi par exemple, n’a rien d’un métaphysicien ; il ressemble bien plutôt au joueur qui conduit à une victoire assurée la tour ou le cavalier. En maintes circonstances, l’esprit géométrique vient se ranger, auprès de l’esprit de finesse, parmi les esprits amples, mais faibles.



§ IV. — L’amplitude d’esprit et l’esprit anglais.

Chez toutes les nations, on trouve des hommes qui ont l’esprit ample ; mais il est un peuple où l’amplitude d’esprit est à l’état endémique : c’est le peuple anglais.

Cherchons en premier lieu, parmi les œuvres écrites qu’a produites le génie anglais, les deux marques de