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l’objet de la théorie physique

principes si stériles, qu’ils n’ont point accoutumé de voir ainsi en détail, qu’ils s’en rebutent et s’en dégoûtent… Les fins qui ne sont que fins ne peuvent avoir la patience de descendre jusque dans les premiers principes des choses spéculatives et d’imagination, qu’ils n’ont jamais vues dans le monde, et tout à fait hors d’usage. »

C’est donc l’amplitude d’esprit qui engendre la finesse du diplomate, habile à noter les moindres faits, les moindres gestes, les moindres attitudes de l’homme avec lequel il négocie et dont il veut percer à jour la dissimulation ; la finesse d’un Talleyrand groupant des milliers d’imperceptibles renseignements qui lui feront deviner les ambitions, les vanités, les rancunes, les jalousies, les haines, de tous les plénipotentiaires du Congrès de Vienne, et lui permettront de jouer de ces hommes comme de marionnettes dont il tiendrait les ficelles.

Cette amplitude d’esprit, nous la retrouvons chez le chroniqueur fixant, en ses écrits, le détail des faits et les attitudes des hommes ; chez un Saint-Simon, nous laissant, dans ses Mémoires, « les portraits de quatre cents coquins dont pas deux ne se ressemblent ». Elle est l’organe essentiel du grand romancier ; c’est par elle qu’un Balzac peut créer la foule des personnages qui peuplent la Comédie humaine ; planter chacun d’eux, devant nous, en chair et en os ; sculpter en cette chair les rides, les verrues, les grimaces qui seront la saillie que fait au dehors chacune des passions, chacun des vices, chacun des ridicules de l’âme ; habiller ces corps, leur donner des attitudes et des gestes, les entourer des choses qui seront leur milieu ; en faire, en un