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Entre deux doigts osseux, il saisit délicatement la cigarette ; il a une façon de la tenir qui est extraordinaire d’élégance et d’aristocratie.

Pendant que le pansement s’achève, le pauvre homme fume gravement, lentement, avec une distinction de prince oriental ; puis, d’un geste négligent, il jette la cigarette avant de l’avoir consumée à moitié.

Alors, redevenu soudain animal, il crache sur mon tablier et m’embrasse la main comme un chien en répétant quelque chose qui ressemble à « Bouia ! Bouia ! »


XX


Gautreau avait l’air d’une bête de somme. Il était pesant, carré, puissant de la base et majestueux de l’encolure. Ce qu’il pouvait porter sur son dos aurait écrasé un homme ordinaire ; il avait de gros os, si durs que l’éclat d’obus qui vint lui heurter le crâne n’y fit qu’une fêlure et n’alla pas plus avant. Gautreau arriva seul à l’ambulance, à pied ; il s’assit sur une chaise, dans un coin, en disant :

— Pas pressé, c’est guère qu’un écourchon.