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sentant qu’il va hurler comme les autres, Carré se met à chanter.

La première fois que la chose est arrivée, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. Il répétait sans cesse la même phrase : « Oh ! la douleur du genou » ! Et, peu à peu, j’ai senti que cette lamentation devenait une vraie musique et, pendant cinq grandes minutes, Carré a improvisé une chanson terrible, admirable et déchirante sur « la douleur du genou » ! Depuis, il en a pris l’habitude et il se met brusquement à chanter dès qu’il ne se sent plus maître de son silence.

Entre ses inventions, il a recours à de vieux airs ; je préfère ne pas regarder son visage quand il commence : « Il n’est ni beau ni grand mon verre. » D’ailleurs, j’ai, pour ne le pas regarder, l’excuse d’avoir fort à faire avec cette jambe qui me tourmente passablement, et qu’il faut manier avec un monde de précautions.

Je fais « tout ce qu’il faut faire » et, profondément, à plusieurs reprises, j’introduis la brûlante teinture d’iode. Carré l’éprouve ; aussi lorsque, passant une heure plus tard près de son coin, je prêterai l’oreille, je l’entendrai s’exercer d’une voix