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pour recouvrir le cadavre en attendant les brancardiers.

— Tu ne manges pas ? dit Mulet à Maville.

Maville, qui est tout jeunet, tout timide, hésite :

— Si, mais ça ne passe pas…

Et il ajoute, après un silence :

— J’aime pas voir ça.

Mulet torche son assiette avec calme et dit :

— Dans des fois aussi, ça me rognait l’appétit, même que j’en aurais vomi. Mais j’ai comme une habitude, maintenant.

Pouchet lampe son café avec une sorte de gourmandise fébrile.

— On est core heureux, dit-il, de s’en tirer avec une jambe coupée, quand on voit ça.

— Faut bien vivre ! ajoute Mulet.

— Pour l’bonheur qu’on y prend…

C’est Béliard qui a dit cela. Il a reçu une balle au bas-ventre, et nous avons l’espoir qu’il guérira bien. Cependant toute son attitude trahit l’indifférence. Il fume beaucoup, et parle rarement. Il n’a aucun motif de désespérance et il sait qu’il retrouvera la vie normale. Mais la fréquentation de la mort, qui rend si précieuse la vie, finit aussi, quel-