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espèce d’institution sacrée, mais surtout parce qu’elle est devenue une chose trop commune pour suspendre, comme elle le faisait autrefois, les actes de la vie : on mange et on boit à côté des morts, on dort au milieu des mourants, on rit et on chante dans la compagnie des cadavres.

Et que faire, mon Dieu ! Vous savez bien que l’homme ne peut pas subsister sans manger, sans boire, sans dormir, et aussi sans rire et sans chanter.

Demandez à tous ceux qui accomplissent ici leur dur calvaire. Ils sont doux et courageux, ils sont sensibles à la douleur d’autrui ; mais il faut bien manger à l’heure de la soupe, dormir, si l’on peut, pendant la longue nuit, et puis essayer de retrouver le rire lorsque la salle est calme et qu’on vient d’emporter le cadavre du matin.

La mort reste une grande chose, mais avec qui l’on a de trop fréquents et trop intimes rapports. Comme le souverain qui se laisse voir à sa toilette, la mort est toujours puissante, mais familière et un peu avilie.

Lerouet est mort tantôt. On lui a fermé les yeux et noué une mentonnière, puis on a tiré le drap,