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Maintenant nous voici réunis dans la petite pièce où l’amitié est reine.

Pierre, Jacques, enfants courageux, je n’oublierai pas votre joli sourire contracté, à l’heure qui, pour l’homme mûr, apporte le découragement. Je n’oublierai pas !

On partage le bœuf et le riz qu’il faut avoir grand faim pour manger. Mais une vraie douceur s’épanouit dans le giron de la lampe, une douceur qui voudrait ressembler à la joie d’autrefois. On a un si profond besoin de joie qu’on en improvise partout, même au cœur de la misère.

Et voici que, tout à coup, à travers la buée de la soupe, j’aperçois distinctement le regard de Bride.

Il n’avait pas un regard ordinaire. L’excès de souffrance, l’approche de la mort, peut-être, et aussi une richesse intérieure prêtaient à ce regard une lumière, une douceur, une tristesse extrêmes. On approchait de sa couche, on se penchait, et le regard était là, comme une source jaillissante et pure.

Mais Bride est mort : nous avons vu ses yeux devenir d’insignifiantes membranes molles.

Où est la source jaillissante ? Se peut-il qu’elle soit épuisée ?