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jeunes corps mutilés sont rangés côte à côte. Cent cœurs, à coups précipités, lancent le sang trop chaud vers les membres douloureux. À travers toutes ces chairs, le projectile, qui va furieusement son chemin, s’est frayé passage, broyant les choses délicates, hachant les organes précieux qui font que l’on a du bonheur à marcher, à respirer, à boire…

Là, elle n’existe plus cette joie innocente de l’ordre ; et, pour la recouvrer, cent corps font une besogne si lente et si dure qu’elle arrache aux plus forts des larmes et des soupirs.

Mais comme il est bien étouffé par les murailles ce foyer de douleur ; comme il couve silencieusement, obscurément dans l’espace !

Ainsi qu’un pansement sur une large plaie enflammée, le château s’applique étroitement sur son contenu, et l’on ne voit rien que ces lampes, toutes semblables à celles qui illuminent une solitude studieuse, ou une conversation d’amis intimes, le soir, ou un amour perdu dans la contemplation de soi-même.

Nous cheminons maintenant entre les bosquets de fusains, splendides sous la neige, et l’indifférence de ces choses vivantes à la monstrueuse misère qui