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moi, comme chez beaucoup d’autres personnes, une certaine préoccupation. C’est peut-être inconvenant, mais j’éprouve souvent le besoin de siffler entre mes dents, et surtout quand je m’applique à de sérieuses besognes.

Un matin donc, j’achevais le pansement du vice-feldwebel Spät en sifflotant distraitement je ne sais quoi. Je ne regardais que sa jambe et ne m’occupais guère de son visage, quand j’eus tout à coup la sensation curieuse que le regard qu’il fixait sur moi venait de changer de nature, et je levai les yeux.

Certes, une chose extraordinaire se passait : détendue, animée d’une sorte de chaleur et de contentement, la figure de l’Allemand souriait, souriait, et je ne la reconnaissais plus. Je ne pouvais croire qu’avec les traits qu’il nous montrait d’habitude il eût pu improviser ce visage-là, qui était sensible et confiant.

— Dites, Monsieur, murmura-t-il, c’est troisième symphonie, n’est-ce pas ? Vous, comment dire… sifflez, c’est le mot ?

D’abord, je m’arrêtai de siffler. Je répondis ensuite : « Oui ! je crois que c’est la troisième sym-