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de bourreau, s’écriait dès les premières explosions d’une rafale d’obus :

— Numérotez vos abatis, garez votre caberleau ! Voilà les bigorneaux qui dégringolent…

Aussitôt, tout mon petit monde se mettait à rire. Je n’osais pas le leur reprocher, parce que leurs visages étaient presque décomposés de lassitude et que ce moment de gaieté lugubre les empêchait toujours de s’endormir debout.

Ce même Tailleur ne pouvait s’empêcher, quand les explosions se rapprochaient par trop, de s’écrier :

— Je ne veux pas être tué par une brique, moi ! Je vais dehors…

Je le regardais en souriant, et il répétait : « Moi, je m’en vais d’ici », tout en roulant soigneusement les bandes de pansements, ce qu’il faisait avec une grande adresse.

Son mélange de terreur et de fanfaronnade nous donnait une continuelle comédie. Une nuit, des poches d’un blessé on vit tomber une grenade. Malgré les ordres. Tailleur, qui ignorait tout à fait le maniement de ces engins, ne put s’empêcher de la tripoter longuement avec une curiosité et une inquiétude bouffonnes.