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toutes sortes d’espoir, car ils avaient déjà échappé aux premiers choix de la mort.

Entre les deux salles, un scribe vivait dans le courant d’air, en proie à une paperasserie indispensable et abrutissante.

Au début, pendant trois jours et trois nuits, le même homme demeura ancré à cette besogne ingrate jusqu’à l’heure où on le vit enfin, le visage décomposé, presque fou d’avoir sans relâche étiqueté cette misère avec des noms et des chiffres.


*


Les premiers jours de mars furent frais, avec des alternatives de neige et de coups de soleil. Quand l’air était pur, nous l’entendions vibrer de la vie des avions et retentir de leurs combats. La pulsation sèche des mitrailleuses, le tir incessant des shrapnells formaient au-dessus de nous comme un dôme crépitant. Les aéroplanes allemands accablaient nos parages de bombes qui sifflaient longuement avant que d’éventrer le sol ou les maisons. L’une d’elles vint tomber à quelques pas de la salle où j’opérais un blessé du crâne. Je me souviens du