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Toutefois, pour cent raisons, le sommeil m’était chose impossible et, pendant plusieurs semaines, j’oubliai ce que c’est que dormir.

Je me retirais donc de temps en temps dans la chambre qui avait été désignée pour mon ami V… et moi-même, et je m’étendais sur un lit, en proie à une fatigue voisine de l’égarement ; mais le bruit continuel des sabots et des souliers, dans le couloir, maintenait l’esprit en éveil et les yeux ouverts. Par rafales s’élevait le chœur des blessés : il y avait toujours en traitement, dans les salles voisines, une douzaine de blessés du crâne à qui la méningite arrachait des hurlements monotones ; il y avait les blessés du ventre qui se lamentaient pour obtenir une boisson interdite ; il y avait encore les blessés de poitrine, que secouait une toux basse, encombrée par le sang, et tous ceux qui geignaient, dans l’attente d’un repos impossible…

Alors je me relevais et retournais travailler, ma grande crainte étant de ne plus me trouver, par excès de fatigue, l’œil assez sûr et la main assez prompte, en face du terrible devoir.

Les nuits surtout, le bombardement reprenait, par bourrasques.