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la figure du blessé, mais il n’y avait plus là qu’un cadavre.

Chaque salle inspectée montrait la même détresse, soufflait la même haleine d’antiseptiques et d’excréments, car l’infirmier n’arrivait pas toujours assez vite, et beaucoup d’hommes se souillaient sans y prendre garde.

Je me rappelle une petite chambre abandonnée, en désordre ; sur la table, un bol de café au lait avec du pain trempé ; par terre des babouches de femme et, dans un coin, des objets de toilette avec des cheveux blonds… Je me rappelle un réduit où un blessé, en pleine méningite, criait sans arrêt : 27, 28, 29… 27, 28, 29… en proie à une étrange persécution des nombres. Je vois une cuisine où un soldat troussait un poulet blanc… Je vois un sous-officier de tirailleurs algériens arpentant le couloir, avec un œil crevé dont le bandeau avait glissé. J’entends les râles d’un blessé du crâne qui avait, devant la bouche et les narines, un gros champignon de mousse rouge. Et encore un Allemand roux qui grouillait de vermine et demandait l’urinal.

Vers midi, le médecin-chef arriva, suivi des