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plaies, et ces plaies-là devaient souffrir… Pourtant, jusqu’à la fin, il a paru étranger à tout, même à sa propre souffrance.


XXV


— Entrez par ici. Vous pourrez le voir encore une fois.

J’ouvre la porte et pousse le grand artilleur blond dans la pièce où vient de mourir son frère.

Je tire le drap et découvre le visage du cadavre. La chair est encore tiède.

Le grand gaillard a l’air d’un paysan. Il tient son casque à deux mains et contemple les traits fraternels avec des yeux pleins d’étonnement et d’horreur. Puis, tout à coup, il se met à crier :

— Pauvre André ! Pauvre André !

Ce cri d’un homme fruste est inattendu, et il est grand comme la voix des anciens tragiques chantant le thrène du héros.

Alors il laisse tomber son casque, se jette à genoux auprès de la couchette funèbre, saisit dans ses mains le visage du mort et l’embrasse doucement, doucement, longuement, avec un petit bruit