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teraient-elles pas à la source de tout le mal, afin d’endiguer d’abord cet énorme coulage des campagnes qui inonde les villes ? Un aliéniste, pour juger de l’état de ses malades, leur commandait d’étancher l’eau lancée sur le parquet par un robinet tout grand ouvert. Si le patient commençait par fermer le jet d’eau, le docteur avait bon espoir de guérison ; mais s’il essuyait avec fureur, sans supprimer la cause de l’inondation, cette impuissance de réflexion enlevait tout espoir de recouvrance.

Il en est un peu ainsi de nous : nous avons gémi et nous gémirons encore de l’obsession de tous les sans-travail, déclassés, mécontents, socialistes, appauvris ou malades qui ont encombré nos rues et qui en déborderont plus que jamais dans quelques mois, à la fermeture des usines de guerre et au retour des soldats, dont « pas trois pour cent iront cultiver la terre », assurait dernièrement un député aux Communes.

Aucune organisation civique, aucune société de bienfaisance ne suffirait à étancher cette marée montante de toutes les misères ; on essuiera, on essuiera avec une charité admirable, on gémira surtout, mais les recrues du malheur déborderont toujours. Si nous sommes sages, commençons par fermer le robinet de la désertion des campagnes, allons recruter chez eux tous ces ruraux qui ne peuvent pas s’y établir, et qui viendraient mendier des places de commis, de charroyeurs de charbon et de balayeurs de rues, d’entrepôts ou de collèges, eux, ces fils de grand air et de liberté… Recueillons en ville les ex-agriculteurs qui regrettent la terre, mais qui ne veulent pas retourner à l’ancienne ferme, trop ennuyeuse ou trop ingrate ; puis menons toutes ces recrues bien doucement et bien intensément vers les lots à prendre.

C’est une question d’apostolat et de charité, non moins qu’une affaire de dignité sociale et de vie nationale : le