Page:Dugré - Vers les terres neuves, 1917.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.

II

COMMENT COLONISER ?


Peut-on raisonnablement parler de colonisation à des gens qui désertent la terre et qui vendent l’héritage paternel avec autant d’aise que les agents d’immeubles concèdent le troisième lot du coin ?

D’abord, dissipons une équivoque. On peut avoir bien des raisons de déserter la terre : l’amour de la vie facile et du luxe qu’on espère assez follement trouver en ville ; le dégoût du rude travail des champs, les maigres profits tirés d’une terre mal cultivée, l’entraînement d’anciens compagnons de misère qui reviennent des États, tout sonnants de petite monnaie ; voilà les arguments classiques. Il y en a plusieurs autres moins apparents, tout aussi réels, peut-être plus ancrés dans le tréfonds de notre race, en particulier cette soif d’aventures qui réclame toujours du nouveau et qui va le chercher aux villes, faute de le trouver à la campagne. Pour qui sait nos ascendances gauloises, franques, romaines et normandes, nos randonnées par toute l’Amérique se comprennent fort bien, et nous devons être, par voie d’hérédité, mobiles et migrateurs.

Souvent, l’on déserte en ville, non par dégoût de la terre, mais d’une terre, située dans un bout de rang, au bas d’une côte, où l’on ne voit rien, où l’on s’ennuie, loin du chemin de fer, loin de l’eau, loin de l’église et du village. On est sociable, on aime la compagnie, les réunions, mais les voisins déplaisent ; des antipathies de clans, des chicanes de conseil municipal ou de maison d’école rendent la vie impossible ; les gens se reluquent, se boudent, que sais-je ?