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Et toi, jeune génération, qui continueras la vie puissante sur la terre ancestrale ou qui devras partir fonder ailleurs un foyer impossible chez nous, ne te laisse pas éblouir par le tapage américain, et redis-toi les réflexions qui terminent le roman de « La Campagne Canadienne, » alors que le docteur François Barré repart, après une rafraîchissante semaine chez nous, et qu’il compare les États-Unis à sa Pointe-du-Lac :

« Dans les chars, François prit place du côté du fleuve, afin de revoir une dernière fois le rang de la banlieue et la maison paternelle. La figure à la fenêtre, il expliquait à sa fille le paysage que l’on traversait, puis il reconnut la ferme de son père, la montra à Gladys et se tut. Le soleil de quatre heures éclairait violemment les maisons et toute cette belle campagne. Dans les champs, François put reconnaître ses frères et ses neveux qui, après son départ, avaient repris leur travail et s’interrompaient un instant pour agiter leurs mains vers le train en fuite ; puis ce furent d’autres champs, un autre paysage, une large éclaircie sur le lac Saint-Pierre, puis le médecin pressentit déjà les villes et les États-Unis qui allaient le ressaisir et l’engloutir tout entier.

Tandis qu’en arrière les siens reprendraient leurs paisibles travaux, leurs soirées de famille, leurs jeux, leurs visites, lui, il recommencerait la lutte pour la vie dans un monde bien différent. Deux civilisations s’étaient offertes à lui : l’une simple, patriarcale, essentiellement catholique et conservatrice ; l’autre, éblouissante et tapageuse, protestante et matérialiste. Il avait opté pour celle-ci, s’y était laissé prendre dans un engrenage irrésistible ; aujourd’hui il en était victime et ne pouvait pas revenir en arrière.

Et comme le train en marche traversait les grasses prairies de Louiseville et de Maskinongé, et comme on entendait à chaque station monter les claires syllabes françaises et qu’on voyait pénétrer dans le wagon de larges figures honnêtes et des yeux pleins de candeur, et comme ces villageois et ces cultivateurs le regardaient avec admiration, peut-être avec envie, lui et la belle jeune fille qui l’accompagnait, François se prit à formuler ce vœu, où se mêlait presque une prière : « Braves gens du Canada français, hommes et femmes de chez nous, garçons robustes et chastes jeunes filles, vous