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de la pêche, du canotage, du patin et du coup d’œil dans un décor de pins et dans l’échancrure du lac St-Pierre, qui s’étalait comme la mer jusqu’à l’infini de la glace et de l’eau, avec le panache de fumées transatlantiques des deux-mâts ou des trois-mâts imposants, le Parisien, le Vancouver, le Canada, pointés vers les Îles de Sorel.

Toutes ces splendeurs n’existaient que pour nous ; les rustauds des Trois-Rivières ne voyaient que le sable et les obligatoires puces. Nous leur disions : « Oui, mais le lac…, le fleuve ? »… Ils rétorquaient : « Le sable ! » Nous reprenions : « La verdure…, les arbres ? »… — Les puces ! — Le bon air pur…, le soleil sur l’eau ?… — Les sauterelles ! — La cabane à sucre… la pêche à la truite ?… — Pas moyen de trotter ! — Les Bucoliques…, Virgile ?… — Le coteau de sable ! — Tas de rustauds, allez !

Le latin nous vengea : Pointe-Opus se traduisit par la Pointe du Travail, de l’Habileté, des Arts !…

Il y avait du vrai pour les sauterelles, pour le reste aussi. Nos terres légères rendaient bien, oui, rendaient à qui leur prêtait. Autrement, ce n’étaient que friches maigres, peuplés de vaches maigres, beuglant comme des vaches maigres. Les fermes sableuses des hauts de rangs, quand on parvenait à y faire pousser quelque chose, recevaient la visite des sauterelles écloses à St-Étienne, qui dévoraient tout : l’on ne sauvait que les clôtures. En a-t-on fait des processions pour les conjurer ! Les poules en mangeaient tant qu’elles pouvaient, puis elles pondaient à se faire mourir et les gens des Trois-Rivières trouvaient les œufs extra ! Ex malo bonum.

Pas encore de touristes, ni de Pointe-du-Lac-les-Bains, ni de ces charmantes villas sur le coteau de sable, où l’on allait courir nu-pieds, prendre des bains de soleil sans le savoir, et regarder le lac sans connaître les mots de poésie, artiste, paysage, lignes d’horizon et tout ça… mais on trouvait ça beau et ça faisait quelque chose. Un brave homme eut l’idée d’acheter pour 25,00 $ cette éblouissante dune, comparable aux déserts de la Libye, d’y planter les arbrisseaux précurseurs des villas, d’y planter même une vache. La malheureuse n’y trouvant pas « Le foin que peut manger une poule en un jour, » se lança dans la poésie, dans