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En 1870 et 1880, les moissons jaunies voient toute la famille s’agenouiller devant elles, la faucille à la main, le soleil sur la tête, et la bonne humeur chez tous, pour d’écrasantes journées de fauchage. Poignée par poignée le grain tombe ; ça ne va pas bien vite : faucher son arpent dans sa journée méritait l’éloge suprême à une faucheuse.

Voilà bien que le père revient un jour du marché avec un javelier, lourde faux garnie de dents de bois qui retiennent la paille qu’on dépose en javelle droite.

Quand le jour de gloire est arrivé, le bonhomme se lance à grande envergure, dévorant, grouche, six pieds de large, et avançant de deux pieds à chaque coup, grouche ! à côté des jeunes qui zigonent de la faucille, cric, cric ! une pincée à la fois. Vous comprenez que le père s’en donnait : on aime toujours à éblouir la galerie, et grouche, et grouche ! Il ne réussit que trop, le vaillant champion. Quand il daigne se retourner, déjà au bout de la pièce, pour juger de l’effet, il aperçoit ses gâs et ses filles debout là-bas, qui contemplent le phénomène. Inutile de tant suer, le javelier va tout faucher à lui seul ! On s’assoit d’abord sur les talons, puis on se lève pour admirer mieux ; on échange son admiration : « Non, mais ça fauche-t-y ! » et l’on chôme.

Quelques années après le miraculeux javelier, la moissonneuse fait son apparition : c’est l’agriculture assise, les chevaux font tout. Puis c’est la moissonneuse-lieuse : on n’a même plus besoin d’engerber, de couper des harts, de plier les genouillères de cuir pour ceinturer les gerbes. Des enfants suffisent à grouper les bottines par quatre ou cinq, pour faire sécher la paille et javeler le grain. Maintenant l’avenir est à la moissonneuse-batteuse qui remplace la faucille, le javelier, le fléau, le battage en grange, et qui donnera aux fils et aux filles de la campagne tout le loisir de faire de l’auto, de la musique et de la neurasthénie. Et l’on aura vu tout ce progrès en une seule génération, celle qui atteint soixante-quinze ans.

d — Les villages

Outre le village actuel, nommé Village Sainte-Geneviève, l’ancien cadastre et le cahier de la seigneuresse Montour citent