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l’automne : on en fait alors une terrible destruction, soit à coups de fusils, soit avec des attrapes que les habitants nomment geôles, soit avec des filets. On en prend alors plus de jeunes que de vieux ; les jeunes sont les bons, rôtis ou sur le gril. Cet oiseau s’apprivoise aisément ; on en nourrit dans les greniers avec du gru ou du bled ; en quinze jours ils sont comme pelotons de graisse, leur chair devenant blanche. » On a trop bien prié contre les tourtes : Dieu n’en fait plus.

La pêche est d’autant plus facile qu’on s’établit au bord du fleuve et des rivières, où pullulent des espèces aujourd’hui rares : l’anguille, l’esturgeon, le maskinongé (qu’on prononce masquilongé). Les enfants et les femmes chassent, pêchent et canotent comme des hommes.

Quand le blé vient, l’on fait le pain de ménage ; quand le bétail peut vivre, on se paie des laitages ; on tisse la laine, on tanne le cuir, on sait tout confectionner soi-même. Chaque maison se suffit, grâce à l’ingéniosité, cette noble fille de Robinson et de dame Pauvreté. L’on n’achète rien, pour deux bonnes raisons : faute d’argent et faute de magasins. Tout pousse du sol et l’on transforme tout : le lin devient toile, devient serviettes, draps, chemises ; avec le chanvre, on sait même filer des câbles ; la paille devient chapeau et tapis ; le cuir devient bottes, souliers sauvages, babiche, pièces de harnais, mitaines, genouillères, pentures de portes, fonçures de chaises…

La femme sait prendre la laine sur le dos des moutons et lui faire subir tous les stages jusqu’au dos de son mari : les rouets et les métiers sont établis en permanence, et les pièces d’étoffe sont les brevets de capacité des ménagères. Les patriotes de 1837, habillés « canadien » des pieds à la tête, des souliers mous à la tuque, proclamaient notre indépendance économique, notre capacité nationale de nous tirer d’affaires tout seul. Il y avait cent ans que nos familles de colons en faisaient autant.

Jean Talon, qui avait plus que de l’œil, — du génie vraiment, surtout quand on le compare aux modernes, — avait, tout de suite en arrivant, organisé l’industrie domestique, pour n’être pas obligé de tout faire venir de France. Sa politique agressive pousse à la culture du chanvre et du lin ; il prépare l’industrie du vêtement. On le rappelle en France et ses successeurs ne le valent pas.