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« Les Français seront-ils les seuls, entre toutes les nations de la terre, privés de l’honneur de se dilater et de se répandre dans ce Nouveau Monde ? La France, beaucoup plus peuplée que tous les autres royaumes, n’aura des habitants que pour soi ? ou bien, si ses enfants la quittent, ils s’en vont qui de-çà, qui de-là, perdre le nom de Français à l’étranger ?… Ne vaudrait-il pas mieux décharger l’ancienne France dans la Nouvelle, par des colonies qu’on peut y envoyer, que de peupler les pays étrangers ? Ajoutez, s’il vous plaît, qu’il y a une infinité d’artisans qui, faute d’emploi ou faute de posséder quelque peu de terre passent leur vie dans une pauvreté et dans une disette pitoyables. Un très grand nombre vont mendier leur pain de porte en porte ; plusieurs se jettent dans les vols et dans les brigandages publics… » (N’est-ce pas la préhistoire de notre émigration aux États-Unis, de notre imprévoyance, du chômage et des secours directs ?)

Comme l’Angleterre bouge, on fait quelque chose, mais trop peu. Quelques pincées de colons endurent toutes les misères et se font tuer par les Iroquois, si drus que les survivants songent à tout abandonner et à retourner en France.

Heureusement que Colbert, un grand voyant, trouve un jour, pour le seconder, Jean Talon, un grand réalisateur, qui bâtit en six ans une Nouvelle-France assez solide pour survivre, trop faible pour triompher : la France n’a transplanté ici que 9,000 colons : pas un dixième de 1% de sa population… Les successeurs de Colbert trouvaient, eux aussi, que la colonisation coûtait trop cher. Quelle mise de fonds c’eût été, en capital-hommes et en capital-argent, d’envoyer ici, disons 100,000, 200,000, 500,000 âmes, au coût de quelques milliards, pour posséder l’Amérique !…

Si encore nos quelques milliers d’ancêtres avaient pu se gouverner, profiter des richesses de leur pays, comme ils périssaient de ses rigueurs ; s’ils n’avaient pas été conduits de Paris et pour Paris, au profit des marchands de fourrures, jusqu’à être jetés dans des expéditions et des guerres pour que les Français puissent obtenir plus de peaux de castor que les Anglais ; s’ils n’avaient pas été distraits de leur travail de défricheurs pour aller passer l’été au Détroit, aux Illinois et même coloniser la Louisiane, la toute petite semence française aurait, du moins