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Comme pour déblayer son terrain, Laforgue commence par réfuter l’esthétique de Taine. Tant que celui-ci, se bornant à expliquer et ne prétendant point à juger, s’efforce à démontrer qu’aux œuvres d’art, non moins qu’aux espèces vivantes, s’applique la loi des dépendances mutuelles, et que la sculpture en Grèce, la peinture en Italie et dans les Pays-Bas sont des produits de la race, du milieu et du moment, Laforgue ne discute point. Si, peut-être, il n’admet pas toutes les conclusions de Taine, au moins pense-t-il comme lui que, pour étudier l’œuvre d’art, c’est la méthode expérimentale qu’il convient de suivre. Il faut se restreindre à sentir et comprendre. La fin la plus proche de l’art est de nous causer un plaisir. Jouissons de ce plaisir en toute simplicité. C’est là l’important. Si, en démêlant les causes, nous avivons notre jouissance, gardons-nous, du moins, de formuler nos préférences en lois. Nos jugements n’ont pas d’autorité pour autrui. Nous-mêmes en appelons. Nous passons, notre vie à élever et renverser des idoles. « S’il nous est permis… de hasarder quelques vues d’ensemble, il ne faut pas espérer de juger, de goûter les œuvres contemporaines et du passé que d’une façon infiniment éphémère, en créatures. »

Mais quand Taine en vient à professer que la critique ne doit pas se limiter à comprendre et expliquer, qu’elle doit aussi juger et classer, Laforgue s’insurge contre ce pédantisme. Il se passionne ; il dispute avec véhé-