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bouche ouverte, la face convulsée, les bras tendus, les jarrets et tous les muscles du corps contractés par l’effort, comme de gens qui craignent de ne pas arriver assez vite, une multitude d’hommes et de femmes se ruaient vers l’abîme qu’on sentait béant devant eux. C’est ce que fait réellement de nos jours l’humanité. Et ses meilleurs, ses plus infaillibles guides dans cette ruée suprême, ce sont, non pas les tribuns du peuple, les énergumènes et les entraîneurs des masses, mais les honnêtes utopistes qui énervent par leurs billevesées, les forces vives de la résistance.

Et moi qui avais toujours cru, et qui crois encore que l’abîme où se rue notre société est creusé, non pas par les plaintes et les revendications des victimes d’un état social défectueux, mais par la résistance aveugle de ceux qui répondent : « pas un centime de nos revenus, pas un pouce de notre territoire ». Cela peut être théâtral ; mais on a vu, dans un autre ordre de faits, ce que ces crânes résistances peuvent entraîner de malheurs. Il n’y a rien d’absolu dans la vie de l’humanité ; c’est par une série de concessions et de transactions que peuvent se produire sans violence les changements qui sont une loi de son existence même, et une nécessité de son évolution économique.

Il plaît à M. de Resnes de trouver que sont atteints d’infirmité ceux qui constatent cette évolution. On peut lui répondre que ceux-là sont bien plus imprudents qui rêvent d’opposer une résistance impossible à des lois constatées par l’histoire. On a vu, à la fin du dix-huitième siècle, et on verrait sans doute encore, la violence et la passion s’emparer du mouvement de réformes nécessaires, quand il serait si facile de le