Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

logie moderne, histoire, phonétique et comparaison, n’a échappé à ce puissant esprit : c’est une prophétie philologique[1]. » Malheureusement Turgot ne pouvait rester encyclopédiste ; en sa qualité de magistrat, il dut renoncer à écrire dans un ouvrage que le gouvernement avait interdit (1759).

D’ailleurs, le livre de l’Esprit venait de faire scandale et il ne pouvait convenir à Turgot de paraître approuver les sottises prétentieuses de ce compromettant ami des Encyclopédistes qu’il jugeait, lui et ses pareils, dans les termes que voici : « Quel cas puis-je faire d’un déclamateur tel qu’Helvétius qui répand des sarcasmes amers sur les gouvernements en général et se charge d’envoyer à Frédéric une colonie de travailleurs en finances ; qui, en déplorant les malheurs de sa patrie, où le despotisme est, dit-il, parvenu au dernier degré d’oppression et de bassesse, ce qui n’est pas du tout vrai, va prendre pour ses héros le roi de Prusse et la czarine ? Je ne vois dans tout cela que de la vanité, de l’esprit de parti, une tête exaltée ; je n’y vois ni amour de l’humanité ni philosophie[2]. » C’est aussi cet esprit de parti, dont il parle ici même, qui devait éloigner de ses collaborateurs encyclopédistes un écrivain indépendant et fier comme était Turgot. « On était parvenu, dit Condorcet, qui fait ici l’innocent, à faire passer l’Encyclopédie pour un livre de secte et, selon Turgot, c’était en quelque sorte nuire aux vérités qu’on devait chercher à répandre que de les insérer dans un ouvrage frappé de cette accusation bien ou mal fondée. » Pour tous ces motifs, plutôt bien que mal fondés, Turgot cessa d’écrire dans l’Encyclopédie ; mais il n’en restait pas moins ardemment dévoué aux réformes utiles que prêchait l’Encyclopédie et qu’il devait tenter un jour de réaliser, nous le verrons, aux grands applaudissements des Encyclopédistes.

  1. Brachet : Dictionnaire des doublets, p. 50.
  2. Corresp. inéd. de Condorcet et de Turgot, édit. par Ch. Henry, 1882, Charavay, p. 146.