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défendre ». Il aurait pu ajouter qu’à son lit de mort, c’est l’auteur qui a le plus écrit pour l’Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt, qui le veilla jusqu’à sa dernière heure[1], et qu’enfin l’on ne vit à son enterrement qu’un seul homme de lettres : c’était Diderot[2] ; pieux hommage, et aussi légitime dette de reconnaissance, que le directeur de l’Encyclopédie payait à l’auteur de l’Esprit des Lois.

Quand d’Alembert écrivait un si magnifique éloge de Montesquieu et « joignait ses regrets à ceux de l’Europe entière », Montesquieu était parvenu au sommet de la gloire et on n’en était encore qu’au cinquième volume de l’Encyclopédie. Si Montesquieu était mort au dernier volume, c’est-à-dire dix ans plus tard, d’Alembert aurait-il chanté ses louanges avec tant de ferveur ? C’est fort douteux, car d’Alembert et ses amis avaient grandi dans l’intervalle et, pour que les Encyclopédistes grandissent, il fallait, on le verra, que tout ce qui n’était pas eux diminuât. Buffon en fit la dure expérience, lui qui, non seulement mourut bien plus tard que Montesquieu, mais prétendit être célèbre sans être Encyclopédiste. Le projet qu’il prêtait à Voltaire de « vouloir enterrer de son vivant tous ses contemporains », c’est lui qui fut sur le point de le réaliser à la lettre puisqu’il ne s’en fallut que d’un an pour qu’il vît la prise de la Bastille. Il vit en tous cas s’achever l’Encyclopédie et toute sa collaboration se borna à promettre, en 1751, un article sur la nature qu’il écrivit en 1765. C’est pour avoir dédaigné à ce point les Encyclopédistes et leur œuvre qu’il ne fut pour ceux-ci qu’un « phrasier ». On sait qu’il avait inscrit en tête de son ouvrage : Naturam amplectitur omnem. À quoi d’Alembert trouvait plaisant d’ajouter : qui trop embrasse mal étreint. Mais c’est à d’Alembert lui-même, à ce géomètre fourvoyé dans la littérature, que ce proverbe eût pu servir de devise. Au reste, si les Encyclo-

  1. « Le chevalier de Jaucourt ne l’a pas quitté jusqu’au dernier moment » (la duchesse d’Aiguillon à l’abbé de Guasco).
  2. "Le convoi funèbre s’est fait sans personne ; M. Diderot est, de tous les gens de lettres, le seul qui s’y soit trouvé. » (Grimm, t. II, p. 149.)