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Depuis l’attentat de Damiens (janvier 1757), le parti dévot était plus puissant que jamais à la cour ; une loi draconienne (déclaration du 16 avril 1757), trop barbare, il est vrai, pour pouvoir être appliquée à la lettre, avait édicté contre tout auteur et tout imprimeur d’ouvrage séditieux une peine uniforme : la mort. C’est la mort, non des Encyclopédistes, mais de l’Encyclopédie que demanda le Parlement par l’organe de son avocat général, Omer Joly de Fleury[1]. Dans sa foudroyante « capucinade », Joly de Fleury, confondant habilement les doctrines d’Helvétius avec celles des Encyclopédistes, dénonçait le livre de l’Esprit comme « l’abrégé » de cet ouvrage trop fameux (l’Encyclopédie) qui, dans son véritable objet, devait être le livre de toutes les connaissances et qui est devenu celui de toutes les erreurs ; ouvrage qu’on ne cessait de nous vanter comme le monument le plus propre à faire honneur au génie de la nation et qui en fait aujourd’hui l’opprobre. La justice ne devrait-elle pas prendre le glaive en mains et frapper sans distinction des auteurs sacrilèges que la religion condamne et que la patrie désavoue » ?

Ainsi, ce même parlement, qui s’était signalé de tout temps par son opposition janséniste aux décrets de l’Église et qui, deux ans après (1759), allait protester dans ses remontrances contre « les voies irrégulières du pouvoir absolu » à propos des lettres de cachet et en appeler hardiment au « droit de la nation », osait reprocher à l’Encyclopédie « de détruire la religion et d’inspirer l’indépendance aux peuples. » Comme Voltaire avait raison de s’écrier : « À qui en avez-vous, maître Omer ? Mon Dieu ! que cela


    esprits que cet auteur a causé presque universellement par son ouvrage, et, pour avoir écrit trop librement une morale mauvaise et fausse par elle-même, M. Helvétius aura à se reprocher toute la gêne qu’on imposera à quelques génies élevés et sublimes qui nous restent encore. » (Grimm, IV, 80.)

  1. Le 3 septembre 1859, le pape Clément III, dans son bref Ut primum, condamna l’Encyclopédie comme « contenant une doctrine et des propositions fausses, pernicieuses et scandaleuses, induisant à l’incrédulité et au mépris de la religion ». Picot : Mém. pour servir à l’hist. ecclésiastique pendant le dix-huitième siècle, t. IV, p. 7.