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nous persécute pour n’y pas croire ? On voit comment le scepticisme relatif de Bayle l’achemine à la tolérance : « Comme les droits de la vérité ne se peuvent mesurer que sur des individus, ainsi la vérité ne peut agir que si elle devient particulière (c’est le mot même des libertins) et, pour ainsi dire, individuelle. » Et voici la conclusion naturelle de cette relativité, comme on dira plus tard, de la connaissance : « Quelle est donc la vérité qui oblige l’homme ? C’est celle qui s’applique à Jean et à Jacques et qui devient elle-même particulière à Jean et à Jacques ; car la vérité elle-même, puisqu’elle n’existe pas parmi les hommes, comment obligerait-elle ? » Et Bayle ajoute cette grave parole : « Combattre des erreurs à coups de bâton, n’est-ce pas la même absurdité que de combattre contre des bastions avec des harangues et des syllogismes ? » Il n’est pas jusqu’à la plaisanterie voltairienne dont Bayle n’ait par avance donné l’exemple et indiqué l’efficacité pour combattre le fanatisme : « Un certain Basile, grand duc de Moscovie, commandait à ses paysans de lui apporter un millier de puces : il ne commandait pas une chose plus impossible qu’il ne l’est à certaines gens de croire ceci ou cela en matière de religion[1] ».

Nous avons montré comment, au sortir du moyen âge catholique, le monde avait successivement retrouvé — ou inventé — les trois grandes idées de nature, raison et hu-

  1. Commentaire philosophique, chap. vi, 2me partie. Consulter sur Bayle : Faguet (Dix-huitième siècle), et tout particulièrement : Brunetière (Études critiques sur l’Histoire de la littérature française, Ve série, lequel a montré le premier, et avec son ordinaire précision, tout ce que doivent à Bayle Voltaire et ses amis. L’article tolérance de l’Encyclopédie renvoie au Compelle intrare. Bayle, le premier, comprend la tolérance puisqu’il la prêche aussi bien aux huguenots qu’aux catholiques. S’il fait le procès au duc de Guise, il n’épargne pas le prince de Condé et, tenant « la balance égale » entre les deux partis, s’il pense que la Saint-Barthélemy « est l’éternelle honte de la religion romaine », il estime aussi que « le supplice de Servet est une tache hideuse des premiers temps de la Réformation. » Mais « on passe pour hérétique jusque chez les Protestants quand on parle avec quelque force pour la tolérance comme j’ai fait. » (Commentaire philosophique, supplément, ch. xxix).