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de disposer librement de leur sort : c’est encore ici la théorie du contrat, ou du consentement volontaire, étendu des individus aux nations. Or, rien n’était plus en contradiction avec Bossuet et ses maximes politiques, aussi impitoyables parfois que la loi de l’Ancien Testament, où il les a puisées. Jurieu qui, en sa qualité de réformé, était partisan du contrat politique, avait été, c’est Bossuet qui parle, « jusqu’à dire que la conquête est une pure violence. » Et Bossuet pense lui fermer la bouche, en lui rappelant des principes qu’il croit éternels, parce que pour lui ils sont sacrés : « Si le droit de servitude est véritable, parce que c’est le droit du vainqueur sur le vaincu, comme tout un peuple peut être vaincu jusqu’à être obligé de se rendre à discrétion, tout un peuple peut être serf ; en sorte que son seigneur en puisse disposer comme de son bien, jusqu’à le donner à un autre sans demander son consentement, ainsi que Salomon donna à Hiram, roi de Tyr, vingt villes de la Galilée[1]. »

À ces dures paroles du docteur par excellence du dix-septième siècle qu’aurions-nous à répliquer aujourd’hui, et que pourrait donc invoquer notre patriotisme en deuil, si de telles maximes n’avaient pas été abolies à jamais, du moins pour nous, par la philosophie de ce siècle qu’on a accusé de n’être pas « français[2] » ? À l’étranger, les libres esprits tiennent en plus haute estime nos philosophes du dix-huitième siècle ; parmi la foule de témoignages que j’en pourrais donner, je me contenterai de citer ici les paroles d’un critique contemporain qui connaissait admirablement notre littérature, il l’a prouvé par ses ouvrages : Lotheissen, et l’on comprend pourquoi je cite à dessein un écrivain allemand, avait écrit d’abord qu’on « ne pourra jamais faire

  1. Avert. aux Protest., V, N. LI.
  2. Dès le Discours sur l’Inégalité, Rousseau avait condamné le droit de conquête en ces termes : « Le droit de conquête, n’étant point un droit, n’en a pu fonder un autre, le conquérant et les peuples conquis restant toujours entre eux dans l’état de guerre, à moins que la nation, remise en pleine liberté, ne choisisse volontairement son vainqueur pour son chef. »